LETTRE OUVERTE D'UN MÉDIOCRE A SON MINISTRE


Cette lettre est une missive PERSONNELLE ouverte envoyée par un quidam (votre serviteur) à son ministre en novembre 2009. Cette missive a été reprise au bond par d'autres quidams et une version vidéo de celle ci a été réalisée...


La voici :



Voici la lettre :

« Monsieur le ministre

Je suis français. Je suis musicien, compositeur. Je suis fatigué.

Vous participez à un gouvernement issu d'un bord politique qui depuis des années détruit l'image de la création, celle des créateurs. Afin de pouvoir mieux détruire la création elle-même.

Ce bord politique a été accusé de « guerre contre l'intelligence » il y a quelques années par de grands esprits lors d'une pétition lancée par le magazine « les Inrockuptibles ». Depuis, certains de ces esprits se sont éteints, d'autres sont las ; la guerre continue de plus belle. Vous y participez. Du mauvais coté de la ligne de front.

Je pourrais choisir de vivre cette guerre symbolique – mais pas seulement symbolique - avec indifférence, et c'est d'ailleurs mon parti la plupart du temps.

Tous les jours je préfère travailler, sans me soucier du qualificatif prononcé par votre prédécesseur à mon endroit. Ainsi, j'assume pleinement le fait d'être un « médiocre » parmi les « médiocres » tels que les définissait monsieur Aillagon il y a quelques années.

Lorsque je pense au prochain spectacle dont je vais composer la musique, ou lorsque je prépare mon prochain concert, je ne me pose pas la question de l'image que véhiculent de mon métier des édiles incultes, suffisants et méprisants par le dessous.

Je pense à mon œuvre et à mon public. Il est certes fort peu nombreux selon les modes de calcul de vos services. Il n'existe d'ailleurs peut-être même pas pour vous lorsque je joue dans les lieux les plus vivants de la vraie création alternative. Mais il existe. Jouant à travers l'Europe dans les marges, je fais œuvre dans la capillarité de la vie.

Je n'ai pas l'appétit du lucre, la réussite me fait horreur quand elle consiste à porter une Rolex. Ces deux dernières affirmations me placent certainement dans une position « antisociale » dans un pays où les gens ont voté pour « travailler plus pour gagner plus ». Mais je suis fier de cette position.

Tous les jours, je travaille. C'est ça être créateur : c'est travailler tous les jours, à chaque instant. Être créateur c'est comme ajouter à la difficulté d'être – inhérente à chacun – celle spécifique d'être créateur. On ne choisit pas. C'est une nécessité intérieure.
Mais tout cela vous le savez, ce sont des lieux communs.

Tous les jours, cela m'exalte et me fatigue. Mais certains jours, je suis très fatigué. Ce sont les jours où je dois appeler mes ami(e)s conseiller(s) des ASSEDIC pour me faire expliquer ma situation, pour essayer de sauver les meubles. Parce que comme tous les intermittents, j'ai vu mes revenus fondre d'un tiers depuis les diverses « réformes ».
Des revenus fondus d'un tiers, ça se voit très bien dans un frigo : il y avait trois étages de nourriture. Il n'y en a plus que deux.

Comme la plupart de mes amis créateurs, depuis 2007 je travaille plus et je gagne moins.

Dans l'esprit des éléments de langages véhiculés par vos services, « le problème des intermittents est résolu ». Par la grâce de l'union de notre premier magistrat et d'une joueuse de guitare, on nous a fait croire que ceux-ci – les artistes - étaient dès lors protégés.

Je vous affirme le contraire.

Je viens de vous écrire qu'il m'était indifférent de gagner plus ou moins. Si cette perte de revenu était liée à un projet sociétal de redistribution, je n'en serais certes pas fâché. Mais ce n'est pas le cas.

Aujourd'hui j'ai appelé les ASSEDIC. Ma fatigue a grandi. Suis-je paranoïaque ? Je pense que cet imbroglio administratif que vient de me décrire une conseillère fait partie d'une stratégie de nettoyage de mon métier.

J'en viens à la réflexion suivante : dans mon cas personnel, j'aurais le droit de rester intermittent non pas parce que je travaille suffisamment pour l'être – car je travaille beaucoup et tout le temps, j'ai de nombreux projets et je collabore avec de nombreux autres artistes – non ! Je pourrai rester intermittent parce que je sais me battre avec un système plein de pièges et de chausse-trappes perverses imaginé par des gens (les « partenaires ? sociaux ») que maintenant je considère comme dégoutants.

Un système pervers, dont les règles changent à couvert, dans lequel tout est exclusif, un système qui chasse les créateurs les plus faibles sociologiquement parlant, et qui favorise les plus forts administrativement parlant.

Où se trouvent les créateurs les plus intéressants et créatifs dans cette dichotomie ? Votre réponse m'amuserait. J'ai la mienne.

Je reviens à mon cas personnel (mais qui est malheureusement général) : au jour le jour, je travaille beaucoup – « je cours le cachet » pour être plus trivial – et malgré cela, je rencontre CHAQUE ANNEE des difficultés et des doutes quant au renouvellement de mon dossier ASSEDIC. Ce faisant -"courant le cachet"- j'ai le sentiment de vivre une précarité grandissante, une instabilité sociale, un danger de chaque instant qui m'empêche de faire convenablement mon métier. J'en conclus que le système est mauvais et inadapté à notre métier.

En gros : puisque auprès des ASSEDIC, celui qui sait bien « ouvrir sa gueule » obtient d'être un peu moins mal traité, j'affirme que cet état de fait constitue une inégalité de fait entre les gens instruits ou malins et ceux qui ne le sont pas.

Pour élargir le propos : je suis français. « Identité nationale ». Fierté d'être français. Est-ce possible en l'occurrence ?

Non. Je ne suis pas fier d'être ressortissant d'un pays qui méprise autant les fragiles. Je ne suis pas fier de constater que la vie créatrice de mon pays s'écroule parce que ses édiles font le calcul à court terme d'évacuer ce qu'ils ne peuvent pas comprendre et ceux qu'ils ne peuvent pas comprendre.

Vous ne pouvez pas nous comprendre. Mais laissez-nous faire ce que nous avons à faire, participer de la vraie fierté d'un pays comme la France : être un pays de culture vivante, intense et vibrante, même si vous et ceux de votre bord faites tout pour nous précipiter à terre.

Soyez en assuré : la nécessité intérieure fera que, même au sol, je ferai partie de ceux qui y continueront à créer.

De la hauteur de vos sphères, regardez-y parfois, au sol. Dans la boue de votre indifférence il y a une colère qui s'installe irrémédiablement. Vos courtisans ne vous la raconteront pas. Elle existe.

David CHAZAM, musicien, 23 novembre 2009 »




reponse d'un édile
... et réponse à la réponse :


« à : monsieur le Ministre de la culture

Objet : votre réponse à mon courrier du 23 novembre


Monsieur le Ministre,


j'ai bien reçu la réponse donnée par votre collaborateur Michel Lagrave à mon courrier qui n'en demandait pas. Je l'en remercie. Après avoir lu avec beaucoup d'étonnement cette réponse, et à l'aune de celle-ci, j'ai relu mon courrier pour bien vérifier que ni vous ni lui ne l'aviez donc lu.


Monsieur Lagrave me répond de son endroit, celui de la « professionnalisation et de la solidarité ». Je lui en suis très reconnaissant, mais sans fausse modestie, je ne me sens pas concerné par quelque action que ce soit en vue de ma PROFESSIONNALISATION. Je suis « professionnel » reconnu par mes pairs depuis assez longtemps pour ressentir comme un affront le fait que l'on me propose de devenir un « professionnel ».

Par ailleurs, je trouve dégradant cette sorte de « rétrogradation » sur le plan social du « problème » des artistes.


Je n'expose pas seulement dans ce texte des « griefs » mesquins de ma piètre personne à l'endroit de pôle emploi. Cet organisme est chargé par vous, politiques, d'appliquer des textes iniques. A « pôle emploi », les nouveaux suicidaires exposent d'ailleurs bien mieux que moi la difficulté d'appliquer ces textes.

Je vous renvoie à l'oeuvre de Franz Kafka, elle est toujours très précise et actuelle dans la description de ce que vous leur et nous infligez.

J'adresse dans mon courrier du 23 novembre un message politique à mon ministre et choisissant la « lettre ouverte », j'en fais un objet de partage avec mes collègues du spectacle vivant. Je l'ai d'ailleurs écrite en pensant plus à eux qu'à ma propre personne.

Depuis qu'elle a été écrite, cette lettre circule, et j'ai de nombreux témoignages de collègues qui l'approuvent, et la font eux-même circuler.

A part les formidables vedettes que vous cotoyez, il y a dans votre pays des acteurs de la culture vivante qui vivent très mal un système qu'ils dénoncent comme mauvais et inadapté depuis longtemps, et notamment par l'intermédiaire de la coordination des intermittents et précaires. Les réponses aux questions que nous posons ont toujours été violentes, policières, et certainement pas dans la création d'un dialogue.


Votre collaborateur me parle dans sa réponse des « partenaires sociaux ». Je vous propose de changer de vocable et de plutôt parler de « complices sociaux ». Nous ne sommes pas dupes, nous savons que votre projet politique à terme est la déconstruction du système de l'intermittence, avec la complicité du MEDEF et de la CFDT.


Vous me rappellez « l'attachement à l'intermittence » de notre premier magistrat. Vous faites bien, j'avais déjà oublié cette phrase. Je n'y crois pas. Lui comme vous, avez idéologiquement une sainte horreur de la redistribution sociale à tous de la richesse produite par tous. Le système de l'intermittence avait, avec de nombreux défauts à corriger, cette fonction.

J'ai bien noté cet « attachement à l'intermittence » de notre président. Notamment le 31 décembre dernier alors que nous attendions la renégociation du statut qui n'a donc pas eu lieu, ...par le simple fait du prince ? Dans une république, ce report arbitraire qualifie bien la surface d'action et de décision des complices sociaux.

Je ne pense pas qu'il y ait « attachement » de notre premier édile au système de l'intermittence, et je redoute comme beaucoup la première scène de ménage de celui-ci avec la joueuse de guitare qui partage sa vie.


Etre artiste c'est ontologiquement faire matière à ouvrage du PLAISIR. Le plaisir que l'on va donner à notre public. Un plaisir qui est ce but, et que l'on doit éprouver également dans sa réalisation. Les curés du passé ne s'y trompaient pas qui nous excluaient du monde de Dieu (« sur Terre comme au Ciel »!).

Dans notre métier, il nous est ainsi souvent difficile de dire je « travaille » (surtout quand on connait l'étymologie du mot), alors on dit je « joue ».

Je vous rappelle qu'en 1789 les comédiens ont été (ré-)intégrés dans la citoyenneté de droit.

Vous, au ministère républicain de la culture et de la communication, et avec l'aide des différents rouages administratifs, vous êtes les nouveaux ex-communicateurs qui avez pour charge de nous punir pour ce plaisir. Rappelez-vous que malgré le récent discours du Latran, nous sommes toujours dans une république laïque. Rappelez-vous que la culture est un catalyseur – à tous les niveaux – d'une société ouverte et vivante, sans exclusive.


Commencez à constatez que, à l'instar des scientifiques français obligés de quitter le territoire pour trouver ailleurs du travail, et SURTOUT un respect qu'ils ne trouvent plus ici, les artistes valables, authentiquement créatifs, vont commencer à quitter la France pour des exils économiques, symboliques, voire politiques. Des « Marie N'Daye » on en croise des tas à Berlin, à Bruxelles et ailleurs....

Commencez à constater qu'il existe déjà un véritable exil intérieur de nombreux créateurs valables dans notre pays. L'exil de ceux qui à tous âges, et pour des mesquineries se retrouvent au RSA après avoir fait rêver leur public, parce que leur pays a choisi d'abandonner la création.



David CHAZAM, musicien, 11 décembre 2009. »